Liberté de commerce et clause de non concurrence

LA LIBERTÉ DU COMMERCE EST D’ORDRE PUBLIC

Le principe général de l’économie de marché nous apprend que la liberté de commerce concerne l’ordre public.

Ce principe était déjà établi dans le décret d’Allarde des 2-17 mars 1791, et a récemment été inclus dans les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique belge.

Les écarts contractuels aux règles d’ordre public ne sont généralement pas autorisés.

La nécessité et la possibilité de restreindre le principe général de la liberté de la concurrence, a cependant été reconnu depuis de nombreuses années par la loi belge

Concernant la liberté pour un ancien salarié de faire concurrence à son employeur, la cour du travail a rappelé que le principe de base est celui du droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle.

Ce principe gît dans l’article 23 de la Constitution.

Il en découle qu’un ancien travailleur peut concurrencer son employeur, soit en exerçant une activité pour son compte propre ou en se mettant au service d’une concurrent.

Toujours en vertu de l’article 23 de la Constitution, les conditions d’exercice de ce droit ont fait l’objet de restrictions, restrictions d’interprétation stricte.

Pour la cour du travail, celles-ci se limitent d’une part à la possibilité légale d’intégrer dans le contrat de travail une clause de non-concurrence et d’autre part aux termes de la disposition contenue à l’article 17, 3° de la loi du 3 juillet 1978. Celle-ci vise à la fois l’interdiction de divulguer des secrets dont le travailleur aurait eu connaissance dans l’exercice de son activité professionnelle (secret de fabrication, secret d’affaires ou de toute affaire à caractère personnel ou confidentiel) ainsi que l’interdiction de se livrer ou de coopérer à un acte de concurrence déloyale.

La clause de non-concurrence est toujours l’un des mécanismes privilégiés pour protéger le savoir-faire et la clientèle.

Si un certain savoir-faire ou des secrets commerciaux ne peuvent pas être protégés par des droits de propriété intellectuelle (tels que brevets, droit d’auteur et droit des dessins et modèles), la partie concernée doit être protégée par des accords de confidentialité et des clauses de non-concurrence.

A titre d’exemples, ont été considérés comme des actes de concurrence déloyale, le débauchage de clientèle2 ainsi que le non-respect des secrets de fabrique ou de commerce3.

Un travailleur ne peut pas, tant au cours du contrat qu’après la cessation de celui-ci (art 17 de la loi du 03.07.78 sur les contrats de travail ) :

divulguer les secrets de fabrication, ou d’affaires, ainsi que le secret de toute affaire à caractère personnel ou confidentiel dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de son activité professionnelle;
• se livrer ou coopérer à tout acte de concurrence déloyale;

L’obligation de confidentialité s’applique donc en général toujours, pendant et après la fin du contrat de travail.

Un écrit n’est pas nécessaire.

Toutefois, il peut être utile d’insérer dans le contrat une clause de secret professionnel qui renforcera cette obligation et interdira au travailleur non seulement de divulguer mais aussi d’utiliser à son profit, des données confidentielles dont il aurait eu connaissance.


LA CLAUSE DE NON CONCURRENCE

En droit du travail, les article 65, § 1er et 86 §1er de la loi du 3 juillet 1978 définissent la clause de non-concurrence comme :

« la clause par laquelle l’ouvrier/l’employé s’interdit, lors de son départ de l’entreprise, d’exercer des activités similaires, soit en exploitant une entreprise personnelle, soit en s’engageant chez un employeur concurrent, ayant ainsi la possibilité de porter préjudice à l’entreprise qu’il a quittée en utilisant, pour lui-même ou au profit d’un concurrent, les connaissances particulières à l’entreprise qu’il a acquises dans celle-ci, en matière industrielle ou commerciale »4.

L’insertion dans un contrat de travail d’une telle clause a donc pour effet de limiter la liberté de travail du travailleur après la cessation du contrat de travail et ce, afin d’éviter que qu’il ne fasse concurrence à son ancien employeur.

Trois éléments caractérisent la clause de non-concurrence5 :

le travailleur doit exercer des activités similaires ;

il doit l’exercer pour son compte propre ou auprès d’une entreprise concurrente ;
le travailleur doit porter préjudice à l’entreprise qu’il a quittée. La clause n’est donc pas applicable lorsque l’entreprise de l’ancien employeur est mise en liquidation ou est déclarée en faillite6 ;

il doit avoir acquis des connaissances particulières à l’entreprise qu’il a quittée en matière industrielle ou commerciale.

En outre la clause doit être doublement limitée :

être géographiquement limitée aux lieux où le travailleur concerné peut faire une
concurrence réelle à l’employeur (et se limiter au territoire belge);

être limité dans le temps (maximum douze mois à partir de la fin du contrat de
travail); et, prévoir le paiement d’une indemnité de non-concurrence forfaitaire au travailleur.

Le montant de cette indemnité doit dans ce cas être au minium égal à la moitié de la rémunération brute qui aurait été due pendant la durée d’application de la clause, en ce compris les avantages acquis en vertu du contrat de travail, tels la prime de fin d’année et les pécules de vacances.

Compte tenu du principe de la libre concurrence, cette clause est d’interprétation restrictive et est strictement réglementée7.

La loi du 3 juillet 1978 exige à peine de nullité que la clause de non-concurrence soit constatée par écrit..

La rémunération annuelle brute du travailleur doit, en principe, dépasser une certain montant pour que la clause de non-concurrence soit valable.

Ce seuil est fixé à 33.221 € (montant à compter du 1er janvier 2016) et s’apprécie au moment où la relation de travail prend fin.
En dessous de ce montant, la clause de non concurrence est réputée inexistante1 et ne peut produire aucun effet juridique.
Entre 33.221 € et 66.441 € (montants au 1er janvier 2016), la clause n’est valable que si une convention collective de travail précise les fonctions auxquelles la clause de non-concurrence peut s’appliquer.

La clause produit ses effets lorsque le contrat prend fin après les 6 premiers mois de son début :

soit en cas de licenciement pour faute grave du travailleur,
• soit en cas de démission sans faute grave de l’employeur,
• soit de commun accord,
• soit par l’arrivée du terme ou par l’achèvement du travail défini .

La clause ne produit pas ses effets :

soit en cas de rupture durant les 6 premiers mois du début du contrat,
• soit, passé ce délai de 6 mois, en cas de licenciement sans faute grave du travailleur,
• soit, passé ce délai de 6 mois, en cas de démission pour faute grave de l’employeur.

Si le travailleur viole une clause de non-concurrence valable et susceptible de produire ses effets, il doit rembourser l’indemnité compensatoire unique et forfaitaire à l’employeur et lui payer en plus une somme équivalente à l’indemnité à titre de dédommagement. Le juge peut éventuellement réduire cette somme ou l’augmenter.

 

DANS TOUS LES CAS: OBLIGATION DE CONCURRENCE LOYALE

Un principe bien établi dans en matière commerciale est que la clientèle doit être considérée comme une « res nullius » à l’égard de chaque commerçant.

Ainsi, la clientèle ne peut appartenir exclusivement à un commerçant. Toutefois, ce principe doit être modéré et ce, en raison notamment de l’interdiction de détournement de clientèle.

En matière commerciale, la prospection de la clientèle est en principe permise et même encouragée. Cependant, cette prospection peut devenir illicite en raison des circonstances qui l’entourent.

A cet égard, le détournement de clientèle est considéré comme une pratique illicite et consiste en l’orientation d’une clientèle déterminée vers un autre commerçant, orientation qui s’opère par des moyens déloyaux et a fortiori frauduleux (D. DESSARD, Les usages honnêtes, Larcier, Bruxelles, 2007, p.182).

Il convient de distinguer en quoi consiste la libre appropriation de la clientèle et les limites à celle-ci.

 

LIBRE APPROPRIATION DE LA CLIENTÈLE

La libre appropriation d’une clientèle est essentiellement une question de fait qui est laissée à l’appréciation souveraine du Juge devant lequel le différend sera porté.

A titre d’exemple, la prospection de la clientèle d’une société par une société concurrente n’est pas illicite.

En effet, tout vendeur a le droit de tenter de s’approprier la clientèle d’un concurrent en utilisant les connaissances qu’il aurait acquises en tant qu’employé dudit concurrent et ce, même si cette connaissance porte sur la liste des clients de ce concurrent (G. RUE, « le détournement de clientèle », B.S.J., 2010, p.15).

De même, on considère que l’entreprise qui adresse aux clients de son concurrent des offres que le concurrent ne peut faire à ses clients, exerce une libre appropriation de la clientèle de l’entreprise concurrente.

 

LIMITES À L’APPROPRIATION DE LA CLIENTÈLE

La doctrine considère que, dans un état de concurrence, l’acquisition de la clientèle est nécessairement libre et ne devient illicite que par les circonstances qui pourraient l’entourer (D. DESSARD, Les usages honnêtes, Larcier, Bruxelles, 2007, p.175).

Dès lors, en tout état de cause, toute démarche contraire aux usages honnêtes en matière commerciale, rompant l’équilibre existant entre des concurrents, doit être considérée illicite.

En effet, un comportement qui n’est pas loyal ou honnête au regard des usages commerciaux peut être sanctionné.

Ainsi, doivent notamment être considérés comme des démarchages illicites et donc comme des détournements de clientèle : l’usurpation du numéro de téléphone ou de l’adresse d’une entreprise, le démarchage s’accompagnant de dénigrement à l’égard de la concurrence ou encore l’utilisation d’une ligne téléphonique détournée en vue d’intercepter les appels d’une entreprise concurrente.

 

JURISPRUDENCE

La Cour d’Appel de Gand énonce que :

« la simple communication à la clientèle, en l’absence d’autres circonstances, que l’on n’est dorénavant plus lié à une entreprise et que l’on a entamé une activité concurrente à cette entreprise, est insuffisante pour en conclure à une concurrence parasitaire ou à une tentative de détournement de clientèle ou bien encore au caractère établi d’un acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale, lorsque cette communication a lieu immédiatement après l’achèvement de la relation et n’a lieu qu’une seule fois ».

La Cour d’Appel de Bruxelles a récemment stipulé, à propos d’un débauchage de clientèle, que « le détournement de clientèle appartient à l’essence de la concurrence et n’est pas en soi illicite », et que « ce débauchage doit bien entendu, comme cela est le cas en matière de débauchage de personnel, avoir lieu sans abus et sans violer d’autres règles ».

Même en l’absence de clause de concurrence, le salarié doit rester fidèle à son employeur.

Par conséquent, est prohibé tout acte susceptible d’avoir une incidence fâcheuse pour l’activité professionnelle de l’employeur.

Aussi longtemps que le salarié est au service de son employeur, il ne peut pas exercer une activité concurrente, que ce soit pour son propre compte ou pour le compte d’autrui. Une concurrence même « normale » peut nuire aux intérêts de l’employeur.

En cours de contrat, il ne faut donc pas que l’acte de concurrence soit déloyal en soi. Il suffit qu’il existe.

Le salarié qui exerce une activité concurrente pendant l’exécution du contrat viole le principe de loyauté et de correction. L’employeur peut estimer qu’il y a une perte de confiance « rendant impossible la poursuite de toute collaboration professionnelle ». Dès lors, si les faits sont sérieux, un licenciement pour motif grave – sans indemnités – peut être envisagé.

 

APRÈS LA FIN DU CONTRAT

A défaut de clause de non-concurrence inscrite dans le contrat de travail, le salarié a le droit de commencer une activité concurrente à celle de son ex-employeur.

C’est le principe de la liberté de commerce et d’industrie.

Toutefois, la concurrence exercée doit être loyale. La volonté de nuire à l’ancien employeur n’est pas acceptable.

Ont été jugés par exemple comme actes déloyaux : le débauchage systématique du personnel de l’ancien employeur, le débauchage de sa clientèle au moyen de techniques frauduleuses (vol de documents confidentiels…), le fait de propager des rumeurs dénigrantes, l’entretien de la confusion (l’ex-salarié laisse croire qu’il serait toujours au service de son ex-employeur), l’utilisation de secrets d’entreprise.

L’ex-employeur victime d’un préjudice de ce genre peut intenter une action en Justice pour obtenir des dommages et intérêts. L’injonction de s’abstenir de tout acte de concurrence déloyale peut également être prononcée en référé (procédure d’urgence) sous peine d’astreinte si les actes déloyaux ne cessent pas.

 

EN CONCLUSION

Tant pendant qu’après la fin du contrat de travail, une concurrence déloyale est toujours interdite.

Pendant l’exécution du contrat de travail, le salarié devra s’abstenir de toute activité concurrente, qu’elle soit loyale ou déloyale.

Il peut néanmoins exercer une activité non concurrente à celle de son employeur.

Après la fin du contrat, une concurrence loyale est autorisée.

Elle peut être limitée par une clause de non-concurrence, pour autant que celle-ci réponde aux différentes conditions de validité. Une concurrence déloyale est interdite.